Une série de belles rencontres à La Croix
Bonjour
Je viens de participer à un salon du livre à La Croix Catelan. Nous étions dix huit auteurs, confirmés ou débutants. Des centres d’intérêt très divers: la littérature, les voyages, la médecine, l’histoire… C’est toujours un plaisir d’échanger entre auteurs et de partager nos lecteurs. Très chaleureux. Très bienveillant. Les auteurs se plaignent un peu de leurs éditeurs et éditrices. Jamais de leurs lecteurs!
QUATUOR, mon roman de cet été, poursuit son chemin. Une lectrice m’a dit trouver originale la rencontre de l’économie politique et de la musique. Une autre, que les deux personnages féminins étaient attachants: Eloïse si sage et distinguée, Chloé pleine d’énergie et d’ambition.
La prochaine histoire aura une femme comme personnage central. Elle s’appelle Elektra. Elle est grecque et c’est donc d’une vengeance familiale dont il est question, dans le milieu si particulier des armateurs maritimes.
Ci-après, quelques lignes de QUATUOR, où l’on rencontre la jolie Chloé.
A bientôt
JJ Dayries
Chloé
Dans le fond de son sac, Chloé retrouve ses clefs. Ces grands cabas sont des gouffres. Elle désespère toujours de mettre la main sur ses deux téléphones, ou sur son agenda. Son ordinateur portable est déjà tombé par terre sur le trottoir au moment où il fallait répondre d’urgence à un appel. Ces bestioles sont solides. Toute sa vie professionnelle y est embarquée. La catastrophe ne s’est pas produite. Pas cette fois-là.
Chloé entre dans son studio. La même réflexion, toujours. Elle n’a pas tout à fait trente ans et elle vit dans ce petit appartement minable. Elle n’aura peut-être jamais un grand cabas Birkin de chez Hermès. Elle n’est jamais entrée dans le magasin du Faubourg Saint-Honoré. Chloé pensait avancer plus vite dans sa carrière. Les journalistes de base sont trop nombreux et mal payés. Elle est en retard. D’autres sont déjà des vedettes. Elles ont leur propre émission. Elles suivent une ligne éditoriale qui ne leur est pas imposée. L’idée de travailler en free lance, c’était pour être libre, pouvoir faire plus percutant, couvrir des sujets que les rédactions n’auraient pas spontanément choisis. Alors qu’elle fait des ménages pour survivre. C’est ce qu’elle dit de ses prestations à la télévision, sur cette chaine qui peut la remercier à chaque instant.
Chloé doit ressortir ce soir. Prendre une douche. Mettre sa robe noire. Se maquiller. Un peu plus qu’à l’accoutumée car la robe noire demande plus de couleur. Qu’elle est fatiguée. Qu’il faudra être en forme dans cet endroit chic où elle a rendez-vous avec James. On pourra la reconnaître. James, certainement pas. Son univers est celui de la presse écrite. On n’a pas besoin de voir les journalistes. Pour Chloé, son image est importante. Un atout capital, à préserver à tout prix. Elle pense qu’elle devrait plus souvent aller dans les endroits à la mode, le soir. Être photographiée. Dans sa vie rêvée elle a une attachée de presse personnelle. Une maquilleuse. Un coach sportif. On lui prête des vêtements chers et voyants. Comme ces anciennes et vieilles présentatrices du journal télévisé qui essayent de prolonger leur période de gloire en faisant comme elle, des ménages.
Dès qu’on entre dans le couloir d’accès du restaurant, l’accueil est gracieux, les éclairages doux. Le brouhaha qui vient de la grande salle est gai. On sait tout de suite qu’on sera entre-soi. Détendu. L’impression d’être aussitôt reconnue. Chloé frissonne de plaisir. Elle tient sa tête bien droite, regarde à dix pas, comme on le lui a appris. Elle serre les dents et bloque son meilleur sourire.
James est arrivé. Il est toujours à l’heure. Il contrôle son emploi du temps. Il est insensible à la pression. Chloé lui a déjà dit qu’il manquait d’ambition. Il se préserve trop.
James souhaite remercier Chloé pour le coup de main qu’elle a donné en faisant inviter Eloïse à cette émission de télévision. Il a choisi un restaurant cher et modeux comme ils disent dans leur milieu. Chloé en est heureuse, même si le dîner ne pourra pas être remboursé par une note de frais. Chloé voudra partager l’addition, par principe. Il y aura un petit combat et elle se laissera faire.
Depuis leur table, à l’intérieur d’un box capitonné, isolé de voisins immédiats, on peut voir les toits de Paris et la Tour Eiffel qui s’illuminera tout à l’heure comme à chaque heure ronde. Un endroit qui prête aux confidences, avec l’impression d’être au-dessus des contingences de la vie normale. Quand nous serons riches et célèbres dit Chloé, nous y amènerons nos proies pour les torturer en toute quiétude. James réponds qu’il ne se sent pas d’une humeur de proie, pas pour l’instant. Et Chloé comprend que son humour incisif la pousse à commettre des fautes de goût. D’ailleurs, on le lui avait reproché déjà quand elle était employée par ce magazine de presse people où elle a débuté.
Le carpaccio de Saint-Pierre de ligne est suivi d’un filet de charolais en croûte feuilletée, accompagné d’une sauce Périgueux. Le gazpacho de pêches blanches est sublime. Un verre de Condrieu précède un verre de Cahors. Puis un deuxième.
Ils sont complices depuis plusieurs mois déjà. Le réseau personnel de James est celui de la presse écrite. La presse nationale, mais aussi la presse internationale qu’il côtoie lors des réunions du Quai. Il a déjà présenté Chloé à certains confrères. Il a pu l’introduire auprès de hauts fonctionnaires qui ne sauraient rien lui refuser. Un échange de services est toujours possible. C’est l’essence de son métier. Cultiver ses contacts, sur le long terme. Chloé a du mal à accepter que du temps est nécessaire pour construire un réseau. Elle vit dans l’urgence, le coup, le scoop.
Chloé a peu d’amis. James la rassure. Ils ont joué au tennis. Ils ont déjeuné au club. Ils sont allés au cinéma. Chaque fois, James est resté assez distant. Peut-on sortir ainsi bien longtemps, en camarades, alors qu’on est facilement complices et qu’on a tant à échanger ?
Chloé est seule dans la vie. Elle voudrait que James la prenne dans ses bras. Elle devrait faire un premier pas. Lui prendre la main sur la table. La nappe est si blanche. La lumière est douce. La vue sur Paris est si romantique, après tout. Mais Chloé ne veut rien risquer. Il y a une sorte de magie dans leur relation. Elle ne veut pas perdre cette chance d’avoir un vrai ami, qui peut-être un jour sera un amant, un mari. Qu’en sait-on ?
Chloé est souvent courtisée dans sa vie de journaliste : les confrères, les politiques, les faux amis. Sa visibilité médiatique semble exacerber son pouvoir d’attraction. Elle sait reconnaître las mauvaises attitudes, les regards inconvenants, la simple drague. Elle s’est toujours protégée. Elle tient à sa réputation. Cela fait partie de son capital-image. C’est important de n’avoir que du bon buzz. Peut-être que sa percée, son potentiel dans les media, peuvent tout autant effrayer que séduire.
Chloé sait que James a été élevé sans père. Une mère attentive et protectrice. Une faille lui est-elle cachée ? Chloé se reproche de regarder sa propre vie en journaliste, à la recherche d’un titre accrocheur. Ils ne sont plus des adolescents avides de découverte. Si l’horloge biologique n’a pas encore sonné, Chloé sait que tous les deux devront bientôt décider de leur vie.
C’est seulement au moment du café pour James et de la verveine pour Chloé qu’elle lui demande de venir dormir chez elle, ce soir. L’explication confuse est qu’elle a peur de rester seule, sans raison. James dit bien sûr, comme s’il s’agissait d’un service qu’on rend facilement à un ami. Chloé le traite de gros béta et James en est heureux.
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